Dans une circulaire du 05.11.2013, l’Administration envisage le cas courant (mais non encore traité par elle) du conjoint du dirigeant d’une société qui utilise un véhicule de la société pour ses déplacements privés.
« Pour que les avantages résultant de l’utilisation à des fins personnelles d’une voiture directement mise à la disposition, par une société, de l’épouse d’un dirigeant d’entreprise de cette dernière (en dehors de tout lien causal avec l’exercice par cette épouse d’une activité professionnelle au profit de la société) constituent des revenus professionnels imposables dans le chef du dirigeant d’entreprise en question, il doit être établi que ce dernier a (également) bénéficié, directement ou indirectement, de l’avantage lié à cette mise à disposition.
Ce principe est généralisable à tout avantage de toute nature octroyé par un employeur ou une société à toutes autres tierces personnes mais qui bénéficie (également) à l’un de ses travailleurs ou dirigeants d’entreprise. »
Que dit la jurisprudence ?
De la jurisprudence, il résulte que cet avantage n’est ni une rémunération dans le chef de l’épouse, ni dans le chef du dirigeant.Toutefois, selon l’administration, il y a bien avantage de toute nature dans le chef du dirigeant si l’une des conditions suivantes est réunie :
- il utilise personnellement, seul ou conjointement avec la tierce personne, un bien mis à disposition de celle-ci;
- un bien attribué à la tierce personne enrichit dans les faits, en totalité ou en partie, sa situation patrimoniale (par exemple lorsque la tierce personne lui cède ultérieurement ce bien à titre gratuit ou lorsqu’un bien attribué à l’épouse entre dans le patrimoine commun des conjoints);
- la mise à disposition d’un bien ou l’attribution de ce bien à la tierce personne lui permet de ne pas devoir réaliser des dépenses qu’il aurait dû supporter sans l’intervention de l’employeur/société, en raison de la dépendance financière effective de cette personne à son égard
Par exemple :
- la mise à disposition d’un véhicule à l’épouse ou à un autre membre du ménage d’un dirigeant d’entreprise, qui permet à ce dernier de ne pas devoir supporter les dépenses liées à l’achat ou à la location d’un véhicule pour ceux-ci
- L’exercice par le fils d’un dirigeant d’entreprise qui ne fait pas partie du ménage de ce dernier d’une option d’achat d’un véhicule dont la société était titulaire permet à ce dirigeant de réaliser un avantage égal à la différence entre le prix d’achat qu’il aurait dû supporter en l’absence de l’option et le prix de l’option supporté par ce dirigeant, lorsqu’il peut être démontré que le fils ne bénéficie pas de moyens financiers propres suffisants lui permettant de financer cet achat ou qu’il est dépendant financièrement de ses parents. Ceci sera notamment le cas lorsque les parents versent des rentes alimentaires à leur fils.
L’administration conclut que dans ces situations, l’ATN est soumis au précompte professionnel dans le chef du dirigeant.
Commentaires
Si les deux premières conditions ne suscitent pas de critique, la troisième condition nous semble surprenante : en interprétant les choses de la sorte, l’administration contourne la jurisprudence citée plus haut : économiser une dépense serait un avantage de toute nature.
Ce raisonnement est fort peu fondé :
- L’administration ne prouve pas que si le conjoint n’avait pas ce véhicule de société gratuitement à sa disposition, il en utiliserait un autre qu’il aurait acquis personnellement
- L’administration ne prouve pas non plus que cet autre véhicule serait identique à celui mis à sa disposition par la société
Demonstration par l’absurde
Mais encore, ce raisonnement, développé à d’autres circonstances, aboutit à des conséquences surprenantes : quand le dirigeant va au restaurant avec des clients, il économise un repas qu’il aurait dû payer de sa poche. Le fait que la déduction des frais de restaurant soit limitée ne change rien, c’est la même chose pour les frais de voiture. Donc, le coût du repas pris par le dirigeant devrait aussi faire l’objet d’un ATN et d’une retenue de précompte professionnel.
Pour quelle valeur ?
A suivre le raisonnement de l’administration, ce serait pour la valeur du repas consommé et non de la tartine que le dirigeant aurait emportée dans son frigo-box s’il n’avait pas dû emmener ses clients au restaurant.
Nous avons choisi cet exemple à dessein, afin de démontrer que les développements de l’administration dans cette circulaire du 05.11.2013 ne résistent pas un seul instant au bon sens. Pourquoi donc l’administration a-t-elle choisi cette voie, critiquable, et qui sera contestée sans nul doute, alors qu’il existe dans le code des impôts sur les revenus une disposition spécifique pour ce genre de cas ?
En effet, sur base de l’art.26 cir/92, il y a manifestement un avantage anormal et bénévole que la société octroie à une tierce personne, le conjoint, et cet avantage doit être ajouté aux bénéfices de la société.
C’est d’autant plus surprenant que l’administration conclut sa circulaire en écrivant que « finalement, l’attention est attirée sur le fait que lorsqu’il ne ressort pas du cas d’espèce que l’avantage en question est imposable au titre d’avantage de toute nature dans le chef du travailleur ou du dirigeant d’entreprise, l’administration appliquera l’article 26 cir/92, en imposant un avantage anormal ou bénévole dans le chef de la société gratifiante ».
Notre conclusion est claire : le troisième cas cité par l’administration dans sa circulaire rentre bien dans le cadre de l’art.26 cir/92 et non de l’art.36 cir/92.
En écrivant un tel texte, l’administration sème une fois de plus le trouble dans une situation qui était pourtant claire jusque là. Cela nous rappelle ses errements à propos de l’application de l’art.219 cir/92 sur la cotisation spéciale de 309%…